Depuis 1998, Pierre-Yves Kairis exerce à l’Institut royal du Patrimoine artistique à Bruxelles, où il a aujourd’hui le grade de chef de travaux agrégé et chef de département a.i. Il a publié en 2015 une volumineuse monographie sur le peintre liégeois du XVIIe siècle Bertholet Flémal qui a été primée par l’Académie française.
1. Comment avez-vous découvert l'œuvre de Michaelina ?
En 1991, j'avais été engagé par la Fondation Roi Baudouin pour instruire des dossiers qui avaient été introduits auprès de la Fondation dans le cadre de sa première grande campagne de restauration d'œuvres d'art, alors consacrée aux toiles monumentales. Plus de 670 demandes avaient été introduites et je m'occupais des dossiers francophones. Dans le cadre de ce travail, je me suis rendu à l'église de Gimnée, au fin fond du Namurois, et je suis tombé à l'arrêt devant un grand tableau assez impressionnant montrant saint Eloi. Ce tableau était signé d'un peintre Charles Wautier dont j'ignorais tout mais dont je constatais qu'il avait dû être un peintre important. J'ai commencé à faire quelques recherches à son sujet, j'ai découvert qu'il était originaire de Mons et, dans la foulée, j'ai trouvé pas mal d'informations sur une femme peintre elle aussi originaire de Mons : Michaelina. Très vite, j'ai supposé qu'ils étaient frère et soeur mais sans pouvoir le prouver. Quelques années plus tard, je suis tombé sur un article de Katlijne Van der Stighelen publié en 1996 et qui reprenait tout mon dossier! En fait, Katlijne et moi avions quasiment fait le même travail de départ. Elle l'a poursuivi ce travail avec le brio qu'on lui connaît et qui a permis d'aboutir à cette magnifique exposition au MAS.
2. Qu'est-ce qui, selon vous, fait d'elle une artiste d'exception ?
Ce qui m'a très tôt frappé, c'est la variété des genres qu'elle a abordés, et avec autant de bonheur dans chaque domaine : peintures religieuses, mythologiques, allégoriques, portraits, fleurs, scènes de genre. C'est très rare pour une femme peintre au XVIIe siècle, une époque où les "peintresses", comme on disait alors en français, étaient vaguement tolérées dans la peinture de fleurs, une activité dans laquelle elle a produit des toiles d'un raffinement digne des meilleurs peintres flamands spécialisés dans ce type de production. Ce qui est tout aussi frappant, c'est l'absence de Michaelina de toute l'historiographie ancienne, comme si l'étendue de l'activité d'une femme avait gêné et qu'on l'avait sciemment négligée.
3. Y a-t-il des similitudes frappantes avec son frère Charles ?
Certes, il y a des liens formels évidents entre les œuvres de Charles et Michaelina : on trouve des cadrages et des mises en page comparables, par exemple pour des saints personnages ridés vus à mi-corps, avec de lourds et amples drapés et des carnations chaudes mis en valeur par des effets lumineux recherchés. Il se dégage souvent de leurs figures comme un sentiment de nostalgie. Comme Charles et sa soeur cadette partageaient le même atelier à Bruxelles et qu'ils avaient une clientèle de même rang (en particulier des officiers au service de la Couronne d'Espagne), on ne peut guère douter qu'ils aient plus d'une fois collaboré aux mêmes tableaux. Mais c'est une voie qu'il reste à explorer : les découvertes sont à venir.
4. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'état de la restauration du Mariage mystique de sainte Catherine (actuellement à l'IRPA) ?
La restauration du "Mariage mystique de sainte Catherine" du Séminaire de Namur s'apparente à une véritable résurrection tant le tableau était encrassé. J'ai repéré cette toile en 2001, lors d'un examen de tous les tableaux conservés au Séminaire de Namur. D'emblée, j'ai été frappé par la qualité et j'ai dit au conservateur qui me guidait : "Vous avez là un chef-d'œuvre !" Mais je n'ai pas immédiatement pensé à notre femme peintre montoise. Quand je me suis approché et que j'ai examiné le tableau en détail, j'ai sursauté en découvrant la signature à peine visible de Michaelina Wautier, une signature que personne n'avait apparemment jamais remarquée auparavant tant le tableau était sale et obscurci. C'est donc à une véritable résurrection que l'on a assisté grâce à la restauration. Pour l'anecdote, ce tableau avait à ce moment suscité tellement d'enthousiasme auprès des restaurateurs de l'IRPA-KIK, que nous avons cherché un sponsor pour la restauration. Sans succès parce que Michaelina était quasi totalement inconnue à cette époque et n'intéressait personne. Une quinzaine d'années plus tard, grâce aux excellents travaux de Katlijne Van der Stighelen, elle est reconnue comme une très grande artiste de son temps et il a été beaucoup plus aisé de sensibiliser les sponsors.